L’intégralité du Rapport de l’Envoyé Spécial au Tchad, l’Ambassadeur BABA GANA KINGIBE au 16ème Sommet ordinaire des Chefs d’état et de Gouvernement des Etats membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad
Abuja, le 29 novembre 2022

La tenue de ce 16ème Sommet ordinaire des Chefs d’État et de Gouvernement des Etats membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) m’offre l’opportunité et me fait l’honneur de rendre compte à Vos Excellences, de l’évolution de la Transition politique au Tchad et ce, au terme de sa période initiale de dix-huit mois. Je rendrai également compte de mes activités depuis que le Président en exercice du Sommet, S.E.M. Muhammadu Buhari, m’a désigné, le 25 mai 2021, comme votre Envoyé spécial au Tchad, avec pour mandat de « suivre l’évolution de la situation au Tchad et de travailler avec les partenaires ayant des initiatives similaires pour soutenir le processus de transition. »

Excellences,

  1. Il convient de rappeler que la mort soudaine de feu le Maréchal du Tchad, le Président Idriss Deby ITNO, sur le champ de bataille en avril 2021, a créé une crise constitutionnelle et sécuritaire immédiate avec de graves conséquences sur la stabilité non seulement du Tchad, mais aussi de l’ensemble des pays du bassin du lac Tchad et au-delà.
  2. La vacance du pouvoir au plus haut sommet de l’Etat constatée après la renonciation annoncée du Président de l’Assemblée Nationale de l’époque à assumer la présidence par intérim du pays, conformément à la Constitution du pays, a été comblée par la mise sur pieds du Conseil Militaire de Transition (CMT) et la désignation du Général Mahamat IDRISS DEBY ITNO comme Président du CMT par ailleurs Président de la République.
  3. Le Conseil Militaire de Transition (CMT) a immédiatement adopté une Charte de Transition dans laquelle il s’est engagé à ramener le pays à un ordre constitutionnel normal après une période de transition de dix-huit mois, devant aboutir à des élections démocratiques libres, justes et transparentes. La Charte prévoit en outre que cette période de dix-huit mois peut être renouvelée sans condition par un vote majoritaire de l’Assemblée nationale de transition. Le CMT a également mis en place un Gouvernement de Transition dirigé par un civil pour gérer les affaires courantes du pays et dérouler le programme de transition.
  4. C’était dans ce contexte et face à la pression militaire constante des mouvements rebelles vers le Nord que le Président en exercice du Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CBLT, S.E. M. Muhammadu BUHARI, a pris l’initiative opportune de convoquer le Sommet extraordinaire du 25 mai 2021. L’initiative était en effet opportune car jusqu’alors, hormis les consultations en marge des obsèques de feu Maréchal du Tchad entre les Présidents étrangers présents, ni l’Union Africaine ni la Communauté Economique Régionale, la CEEAC, n’avaient encore réagi face à cette situation tragique ;
  5. La stabilité du Tchad est importante pour la région dans son ensemble. Les répercussions éventuelles réelles de la situation tragique au Tchad sur ses voisins et toute la région qui étaient en proie au fléau des insurrections de l’Etat islamique et de Boko Haram, a rendu nécessaire de prendre des mesures urgentes pour éviter toute crise sécuritaire imminente. Les interventions des Présidents Mohamed BAZOUM et MACRON en particulier, à ce moment critique, ont produit la trêve entre le Gouvernement et les forces rebelles, évitant ainsi de nouvelles escarmouches et la descente au chaos ;
  6. Dans le cadre de la mission qui m’a été assignée, j’ai suivi de près la situation au Tchad de manière générale, mais surtout l’évolution du processus de Transition à travers des consultations et des concertations avec toutes les parties prenantes tchadiennes, notamment le Gouvernement de Transition, les partis politiques de l’opposition, les groupes politico-militaires, les organisations de la société civile, les leaders religieux et les chefs traditionnels, entre autres. J’ai également tenu des consultations régulières avec le Secrétaire Exécutif de la CBLT, le Haut Représentant de la Commission de l’Union Africaine au Tchad, les partenaires internationaux du Tchad ainsi que les Chefs des missions diplomatiques accréditées au Tchad ayant des initiatives similaires d’accompagnement de la transition.
  7. Dans le cadre de ces consultations, j’ai toujours été bien reçu par toutes les parties tchadiennes, en particulier S.E.M. Mahamat Idriss DEBY ITNO et les membres de l’ancien Gouvernement de Transition, notamment le Premier Ministre, le Ministre des Affaires étrangères, le Ministre de la Réconciliation et du Dialogue National ainsi que l’ancien Président Goukouni WEDDEYE, entre autres. Tout au long de cette période, j’ai également eu le privilège d’avoir le soutien total et les orientations de S.E.M. le Président BUHARI ainsi que les sages conseils de S.E.M. le Président BAZOUM. C’est le lieu ici de leur exprimer ma profonde gratitude et toute ma reconnaissance.
  8. Je partage l’opinion de nombreux observateurs qui ont suivi le processus en saluant le leadership et l’atmosphère réconciliatrice dans laquelle les autorités de la Transition ont conduit les affaires du pays dans cette première phase de transition. Je voudrais également ajouter pour dire que les citoyens tchadiens dans leur ensemble méritent d’être félicités et applaudis pour les efforts louables, les engagements fermes et le patriotisme sans faille dont ils ont largement fait preuve durant cette période. Le peuple dans sa grande majorité a salué et était galvanisé par le leadership fort, soutenu et conciliant du Président Mahamat Idriss DEBY ITNO de qui il attendait beaucoup ;
  9. Enfin dois-je saluer les efforts de pionnier de l’ancien Président Goukouni WEDDEYE dans le cadre de la mobilisation des groupes politico-militaires lors des consultations entrant dans le cadre du pré-dialogue avec le Gouvernement. Ces efforts ont abouti à la signature de l’Accord de paix de Doha le 8 août 2022. Les négociations de paix de Doha ont été méticuleusement médiatisées par l’État du Qatar, sans la patience de qui, le travail de fond exceptionnel et les immenses ressources fournies par celui-ci, ces efforts n’auraient pas été couronnés de succès ;
  10. Dans toutes mes interactions avec les parties tchadiennes concernées, j’ai toujours transmis le vœu de Vos Excellences d’une transition pacifique vers un régime démocratique au Tchad. Je les ai également rassurés de votre disponibilité à accompagner le peuple tchadien dans la concrétisation de ses aspirations à la bonne gouvernance, à la démocratie, à l’Etat de droit, au respect des droits de l’Homme, à la justice pour tous et au développement social inclusif. A chaque occasion, comme lors du Forum consultatif organisé par le Comité d’organisation du dialogue national (CODNI) avec la diaspora tchadienne au Nigeria, j’ai appelé les Tchadiens à mettre de côté leurs différences et de fumer tous ensemble le calumet de la paix tout en s’engageant sur la voie de la réconciliation nationale. Je les ai par ailleurs invités à faire les sacrifices nécessaires pour le bien de leur pays et le bonheur de tous ses citoyens ;
  11. Le long chemin qui a conduit à la signature de l’Accord de paix de Doha a été, comme on pouvait s’y attendre, complexe et marqué de controverses ponctuelles. Pour ma part, j’ai suivi le processus aux côtés d’autres partenaires continentaux et internationaux, et j’ai fourni tout le soutien nécessaire. Lors des nombreuses consultations que j’ai eues lors des négociations avec la délégation tchadienne conduite par l’ancien Ministre des affaires étrangères, l’Ambassadeur Mahamat Chérif ZENE, avec les chefs de délégation des principaux groupes politico-militaires et avec les médiateurs qataris, il m’est apparu clairement que les parties tchadiennes étaient disposées à ouvrir la voie à la participation de la plupart des groupes au Dialogue National Inclusif et Souverain ;
  12. Les principales pierres d’achoppement à des progrès rapides étaient les divergences fondamentales entre les parties quant à l’objet même des négociations. Pour les groupes politico-militaires, le pré-dialogue de Doha ne consistait pas seulement à négocier des mesures de confiance telles que la libération de tous les prisonniers de guerre et des garanties de sécurité pour leurs délégués à N’Djamena. Ils ont également insisté pour discuter des questions nationales de fond identifiées dans le rapport du CODNI. Pour le Gouvernement, en revanche, les pourparlers du pré-dialogue de Doha devaient exclusivement discuter des mesures de confiance et permettre aux groupes politico-militaires de participer au Dialogue national inclusif et souverain à N’Djamena. Toutes les autres questions identifiées par le CODNI, telles que la forme de l’État, la révision de la Constitution, l’éligibilité aux élections, etc. devraient être discutées de la manière la plus appropriée lors du Dialogue auquel d’autres groupes tchadiens intéressés participeront.
  13. Les intenses discussions sur ces deux perceptions opposées ont conduit à prolonger de 05 mois les négociations de Doha qui devaient durer seulement 05 semaines. Au terme de ces échanges prolongés, la délégation gouvernementale et les groupes politico-militaires qui ont finalement signé l’Accord ont convenu d’énumérer tous les sujets de préoccupation des groupes politico-militaires à inclure comme points de discussion lors du Dialogue National Souverain et Inclusif. Même si l’Accord final a été signé entre le Gouvernement et seulement trente-cinq des cinquante-trois groupes politico-militaires participants, il a néanmoins représenté une étape importante à ce moment critique du processus de transition. Plus important encore, l’Accord a ouvert la voie à la convocation du Dialogue national inclusif et souverain avec la participation active d’un grand nombre de groupes politico-militaires ;
  14. Malheureusement, malgré les nombreux appels des amis du Tchad, dont les médiateurs qataris, tous les groupes politico-militaires n’ont pas accepté de signer l’Accord. En outre, en dépit de l’engagement personnel direct de la dernière chance du leader du FACT, Mahdi Ali en particulier, par leurs Excellences, le Président MOHAMED BAZOUM et le Président Macky SALL, les dix-huit mouvements rebelles qui ont refusé de signer l’accord de Doha sont restés inflexibles sur leurs positions. Ils n’ont cessé d’insister sur les mêmes points qui ont été débattus pendant 05 mois sans que le Gouvernement ne cède. Il était également clair qu’ils ne partageaient pas tous la même position sur presque toutes les questions. Cependant, il y a trois revendications clés sur lesquelles les dix-huit groupes rebelles dissidents et, bien entendu, les partis politiques non armés mais militants et les mouvements de masse qui n’étaient pas représentés à Doha étaient néanmoins d’accord. Il s’agissait de:
    La participation égale avec les militaires à la gouvernance et à l’administration pendant la Transition, dont l’extension était pourtant considérée comme inéluctable par toutes les parties ;
    L’inéligibilité des autorités de la Transition aux élections post-Transition ; et
    L’indemnisation et la réhabilitation de tout groupe rebelle de retour au pays. Comme je le disais tantôt, l’impasse a été brisée par l’Accord d’inclure ces questions litigieuses à discuter en tant que points à l’ordre du jour du Dialogue national.
  15. Le Dialogue National, Inclusif et Souverain a été une étape clé de la feuille de route de la Transition. Très attendu, ce Dialogue a été considéré par tous les Tchadiens comme cadre qui leur donnait l’opportunité de se réunir, de discuter et de s’entendre sur la manière de construire un nouveau Tchad sans nouvelles guerres et sans conflits. Ainsi, lorsque le Dialogue s’est finalement tenu du 20 août au 05 octobre 2022, avec la participation de tous les groupes politico-militaires signataires de l’Accord de Doha, de la diaspora tchadienne, de certains partis politiques de l’opposition et de Tchadiens de tous horizons, y compris les leaders religieux et les chefs traditionnels ainsi que les groupements féminins et les associations des jeunes, l’événement a été considéré comme une étape décisive devant mettre le pays sur la voie de la bonne gouvernance et du développement social inclusif ;
  16. Malheureusement, le Dialogue s’est heurté à des obstacles dès le début. Il y a eu des boycotts par certains partis politiques de l’opposition, des leaders religieux chrétiens, en particulier les catholiques, et certaines organisations de la société civile. Le Gouvernement a néanmoins fait quelques concessions pour tenter de répondre à certaines des revendications des délégués lésés. A titre illustratif, il a augmenté le quota de délégués alloués aux groupes politico-militaires et autres groupes sous-représentés. Il a aussi accepté que le Dialogue soit souverain et que ses résolutions soient exécutoires sans possibilité pour le CMT de les amender.
  17. À l’exception de quelques brèves suspensions, le Dialogue a siégé en permanence sous la présidence ferme du Président du Présidium, Monsieur Gali Ngothé GATTA, qui n’a ménagé aucun effort pour persuader tous les groupes boycottant encore le Dialogue de changer de position et de le rejoindre. Dans les différentes commissions plénières et thématiques, les débats se sont déroulés au tour des sujets divers, tels que :
    La paix, la cohésion sociale et la réconciliation nationale ;
    Les enjeux sociétaux ;
    Les droits et libertés fondamentaux ;
    Les politiques publiques sectorielles ;
    La forme de l’État ;
    Les réformes constitutionnelles et institutionnelles ; et
    Les réformes électorales.
    Les sujets controversés issus du pré-dialogue de Doha ont également été débattus. Il s’agissait de la révision de la Charte, la durée de la Transition et la question de l’éligibilité.
  18. Malgré les perturbations et les boycotts, le Dialogue National, Inclusif et Souverain a été clôturé lors d’une cérémonie solennelle présidée par le Président Mahamat IDRISS DEBY ITNO, et en présence de Son Excellence le Président MUHAMMADU BUHARI, du Premier Ministre de la République du Niger, du Médiateur en Chef du Qatar, le Représentant du Secrétaire général des Nations Unies et des délégations de haut niveau du Soudan, de la Libye et de la République centrafricaine ainsi que des membres du Corps diplomatique accrédité à N’Djamena.
    Certaines des décisions annoncées lors de la cérémonie de clôture intègrent:
    La dissolution du Conseil Militaire de Transition (CMT) ;
    La prolongation de la Période de Transition de vingt-quatre (24) mois au maximum ;
    La désignation du Général Mahamat Idriss DEBY ITNO comme Président de la Transition et Chef de l’Etat ;
    L’affirmation de l’éligibilité des membres des organes de transition à se présenter aux élections post-transition ; et
    L’affirmation du droit d’éligibilité de tout citoyen tchadien, notamment celui des militaires à se présenter aux élections générales post-transition.
    La mise en œuvre de ces décisions a commencé immédiatement avec l’investiture du Général Mahamat IDRISS DEBY ITNO en tant que Président de la Transition et Chef de l’Etat, le 20 octobre 2022. En effet, dans son discours d’investiture, le Président a une fois de plus tendu la main aux groupes politico-militaires qui hésitent encore en les invitant à venir à la table des négociations. Il a par la suite annoncé la libération sans condition de tous les prisonniers de guerre.
  19. La réaction aux décisions du Dialogue National Inclusif et Souverain, notamment du parti les « Transformateurs » de Succès MASRA et de « Wakit Tama » dirigé par Max Loalngar, a été d’appeler à des manifestations à l’échelle nationale, manifestations qui ont malheureusement été émaillées de violences sans précédent. Les manifestations à N’Djamena et dans trois autres villes du sud ont fait des dizaines et, selon les estimations de l’opposition, des centaines de vies perdues, de blessés et de biens publics et privés détruits. L’on pouvait dire sans risque de se tromper que les manifestations étaient loin d’être pacifiques et que la réaction du Gouvernement a été considérée par beaucoup comme disproportionnée. La violence a finalement été maîtrisée, mais elle a marqué quand même une fin triste et amère à la première phase de la transition, portant ainsi un préjudice aux réalisations louables du Gouvernement de Transition et du Peuple tchadien dans son ensemble.
  20. Comme Vos Excellences ont dû en être informées, les réactions face à la tournure malheureuse des événements ont été immédiates. De nombreux pays et organisations internationales, dont l’Union africaine ont fait des déclarations publiques pour condamner cette violence. En ce qui me concerne et en ma qualité de votre Envoyé, j’avais publié une déclaration appelant toutes les parties à faire preuve de retenue, à éviter l’escalade de violence et à adopter le dialogue comme le meilleur moyen pacifique de résoudre les problèmes nationaux. De toute évidence, il existe une grande préoccupation et une impérieuse nécessité de veiller à ce que la situation dans le pays ne se détériore pas. La paix relative mais fragile qui a régné tout au long de la première phase de la transition doit être rétablie en ce moment où le pays poursuit sa marche vers le rétablissement de l’ordre constitutionnel normal grâce à des élections libres, justes et crédibles. La responsabilité de la Communauté internationale dans ces circonstances n’est pas de jeter de l’huile sur le feu, mais de prendre du recul, de faire une analyse critique avant de décider de la meilleure façon d’aider les Tchadiens à panser leurs plaies, se réconcilier et aller de l’avant.
  21. A cet égard, il convient de rappeler que la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) a convoqué un Sommet Extraordinaire sur la situation au Tchad, tout comme le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine (CPS-UA). Malheureusement, au lieu de s’aligner sur la position de la CEEAC, sur la base du principe de subsidiarité, la Commission de l’Union Africaine (CUA) a tenté d’appliquer une solution unique ou toute faite en appelant à des sanctions contre le Tchad sans tenir compte des circonstances de sa situation et des concessions que le Gouvernement avait déjà faites. Plus important encore, le Président de la Transition a fait des pas importants dans la bonne direction. Il s’agit de :
    La formation d’un Gouvernement d’union nationale reflétant toutes les couches et toutes les sensibilités de la population tchadienne ;
    La nomination de M. SALEH KEBZABO, le principal leader de l’opposition pendant l’ancien régime, en tant que nouveau Premier Ministre de Transition ;
    La mise en place d’un Comité de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre de toutes les Résolutions issues du Dialogue National, Inclusif et Souverain.
  22. Aussi importantes que soient ces étapes, elles devraient être suivies de réformes plus concrètes pour renforcer davantage la gouvernance inclusive, la paix et le développement durables, ceci dans l’intérêt de la consolidation de la réconciliation nationale et de la promotion de la paix et de la sécurité. À cet égard, il est juste de saluer les nominations à des postes politiques et économiques clés que le Président de la Transition a déjà faites pour apaiser le sentiment des sudistes en particulier, qu’ils ont été marginalisés ou exclus de la gouvernance et du tissu économique national.
  23. Il est généralement admis que l’un des défis persistants dans le pays, malgré les progrès déjà réalisés, est le manque de financement adéquat pour un bon déroulement de la Transition. La révision constitutionnelle prévue, le référendum constitutionnel et la tenue d’élections nationales nécessitent un soutien technique et financier constant. Il en va de même pour l’exercice consistant à mener de vastes réformes du secteur de la sécurité et à mettre en œuvre les dispositions de l’Accord de Doha, notamment le programme de DDR.
  24. Ordinairement, le Fonds commun (Basket Fund) mis en place par le Groupe international de soutien composé des Représentants des Partenaires au développement du Tchad et des Institutions internationales de développement présidé par le Haut Représentant de l’UA au Tchad, devrait être le canal approprié par lequel l’appui financier devra être mobilisé pour financer les différents programmes de la transition. Cependant, les donateurs ont jusqu’à présent été réticents à emprunter cette voie, invoquant un malaise quant aux normes de gouvernance et de redevabilité. Ainsi, ils ont à ce jour apporté des contributions très insignifiantes au regard des besoins.
  25. Dans ces circonstances, les dirigeants de la sous-région, c’est-à-dire la CEEAC et la CBLT, devraient considérer cet état de fait comme une priorité de constituer un Groupe de plaidoyer fort pour persuader les partenaires au développement du Tchad de se manifester avec plus de générosité. L’engagement de la CBLT au côté du Tchad dans le cadre de cette transition depuis le mois de mai 2021 n’était pas seulement dû aux préoccupations sécuritaires des pays membres, mais c’était aussi la preuve de l’esprit de solidarité mutuelle qui a inspiré la création de l’Organisation en premier lieu. Au moment où le Tchad entame sa deuxième phase de transition vers un régime démocratique, la CBLT pourrait également élaborer une Stratégie solide ou vigoureuse pour l’accompagner dans ce processus. Ce faisant, il convient de souligner le fait que la CEEAC s’est maintenant engagée à assumer sa responsabilité première en tant que Communauté économique régionale du Tchad imbue du principe de subsidiarité pour donner le ton à la Communauté internationale, notamment à l’UA, sur la meilleure façon d’accompagner le Tchad.
  26. Lors de son récent Sommet extraordinaire sur le Tchad, la CEEAC a, entre autres :
    Pris acte de la décision du Dialogue National Inclusif et Souverain de prolonger la Transition de vingt-quatre (24) mois supplémentaires ;
    Désigné S.E.M. le Président FÉLIX TSHISEKEDI comme Facilitateur de la Transition tchadienne ;
    Désigné le Ministre des Affaires étrangères de la République Démocratique du Congo (RDC) et le Président de la CEEAC comme Co-Envoyés spéciaux de la CEEAC au Tchad ; et
    Le Facilitateur et les Envoyés spéciaux assureront la liaison avec le Gouvernement tchadien, l’Union africaine et les autres pays et partenaires au développement concernés en vue d’accompagner de manière constructive la transition tchadienne.
    Dans cette perspective, le rôle de la CBLT devrait être de travailler en étroite collaboration avec le Facilitateur de la CEEAC et d’inviter conjointement l’UA à reconsidérer sa position sur la question tchadienne. Ceci est d’autant plus important pour éviter l’émergence de ce qui pourrait sembler être un préjugé sous-jacent et un conflit d’intérêts au niveau de l’UA.
  27. De ce point de vue, il serait peut-être indiquer de mandater le Secrétaire Exécutif de la CBLT, s’appuyant également sur sa qualité de Chef de Mission de la Force Multinationale Mixte (FMM), pour :
    Prendre contact avec le Facilitateur/les Envoyés spéciaux de la CEEAC ;
    Assurer la liaison avec le Haut Représentant de l’UA au Tchad ;
    Tenir des consultations à intervalles réguliers avec les Ambassadeurs des pays membres de la CBLT accrédités au Tchad ;
    Collaborer avec le Comité Spécial mis en place par le Gouvernement pour assurer le suivi de la mise en œuvre des décisions du Dialogue National Inclusif et Souverain;
    Représenter la Commission au sein du Comité de suivi de l’Accord de Doha ;
    Assurer le suivi et, à la demande, aider à la réforme du secteur de la sécurité du Tchad et au programme DDR. Dans l’exercice de ses fonctions de Chef de Mission, le Secrétaire Exécutif peut s’appuyer sur la FMM et les Attachés de Défense (AD) des Ambassades des Etats membres de la CBLT basées à N’Djamena. Cette stratégie devrait être complétée en encourageant les autorités de transition et toutes les parties prenantes à accorder la priorité au renforcement de la confiance et de la confiance entre eux. Il convient alors de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour faire baisser la tension actuelle élevée entre le Gouvernement de Transition et certaines communautés, notamment dans le sud.
  28. Les recommandations susmentionnées, une fois approuvées en tout ou en partie par le présent Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats membres de la CBLT, devraient constituer une stratégie robuste pour aider le Tchad à mener à bien la mise en œuvre de la deuxième phase du programme de transition et à mettre en place une gouvernance post-transition durable pour éviter toute rechute dans un nouveau conflit. Il appartient donc à tous dans la région, en particulier aux pays du bassin du lac Tchad, de continuer à soutenir le Tchad et de ne favoriser aucune aliénation du pays compte tenu de sa sécurité vitale et de sa position stratégique dans la région.

Excellences,

  1. Je ne saurais conclure sans vous exprimer ma profonde gratitude et mes sincères remerciements, à travers S.E.M. le Président Muhammadu BUHARI qui a cru bon de me désigner comme votre Envoyé spécial pour accompagner la première phase de la Transition au Tchad. Ce fut une mission des plus belles qui m’a donné l’occasion d’apporter ma modeste contribution aux efforts collectifs visant à aider le peuple tchadien à bâtir une nouvelle nation réconciliée avec elle-même.