POLITIQUE…..La main américaine est-elle derrière le refuge de Masra à l’ambassade des États-Unis le 6 février ?

Masra s’est retranché à l’ambassade des États-Unis avant d’être prié de quitter le lieu. Pourquoi les Transformateurs ont choisi l’ambassade américaine pour s’y réfugier? S’agit-il d’un tactic politique de la part de Masra ou plutôt d’une tacite connivence américaine? Nous avons contacté notre analyste des actualités nord-américaines Moustapha Abakar Malloumi pour en savoir davantage sur cette affaire.

TCHADMEDIA: L’ambassade des États-Unis a hébergé Masra et son équipe pour 6 jours, est-ce que cela peut être interprété comme un soutien américain à Masra?

MOUSTAPHA ABAKAR MALLOUMI: je ne crois pas parce que n’importe quelle ambassade de pays démocratique aurait agi de la même sorte vis-à-vis de personnes supposées en danger qui chercheraient protection.

TM: Oui mais dans son communiqué de presse, l’ambassade a dit qu’elle a demandé au gouvernement de laisser Masra rentrer chez lui sans être inquiété.

MAM: C’est tout à fait normal. Une procédure d’usage. N’importe quel pays démocratique et a plus forte raison les États-Unis qui se disent le porte étendard de la démocratie dans le monde ne peuvent pas se permettre le luxe de renvoyer quelqu’un dans son pays d’origine s’ils n’obtiennent pas en contrepartie une certaine assurance de liberté pour la personne en question. Je pense, au contraire, que la présence de Masra dans les locaux de l’ambassade semble être un embarras pour les diplomates américains dont le pays est en bon terme avec le Tchad surtout sur le dossier de la sécurité sous-regionale. C’est un embarras qu’ils ont cherché rapidement à y mettre un terme.

TM: pourtant dans le communiqué, l’ambassade dit appeler le gouvernement tchadien à respecter l’Etat de droit.

MAM: Encore ici une formule d’usage pour un pays qui se réclame attacher du prix aux idéaux qui fondent l’Etat de droit. Par contre la phrase ” nous avons demandé au Dr. Masra de quitter l’ambasade” me semble traduire deux choses: leur exaspération d’avoir à gérer une situation inconfortable et encombrante que leur a imposée le président des Transformateurs et un message d’amitié à l’endroit du pays hôte comme pour dire ” nous n’avons aucune attache avec le sieur en dehors de ce geste humanitaire d’assistance aux personnes supposées en danger.

TM: pourquoi l’ambassade n’a pas expulsé Masra le même jour. Elle l’a hébergé pendant presqu’une semaine!

MAM: Cela peut s’expliquer par la bureaucratie et le peu d’intérêt qu’une affaire au Tchad peut constituer aux décideurs politiques aux États-Unis. Alors voici comment les choses auraient pris tout ce temps:juste après le refuge du Dr. Masra et ses camarades, l’ambassade envoie un câble, puis le Office of Central African Affairs le répercute au Bureau of African Affairs, et de fil en aiguille à un niveau supérieur chargé d’instruire la conduite à tenir qui va malheureusement, agir en fonction des priorités des sujets à traiter. Et n’oublions pas que le département d’Etat reçoit quotidiennement des centaines de câbles à travers ses ambassades et consultats. Donc ça prend du temps pour avoir le feedback de Washington sur un sujet qui pèse pas trop dans l’agenda des priorités du State Department, moins encore de l’administration Biden.

TM : pensez-vous que l’arrivée de Biden au pouvoir est une mauvaise nouvelle pour des présidents qui ont mis trop de temps à la tête de leurs pays?

MAM: De manière générale, les Démocrates, comparativement aux Républicains, se montrent trop attachés aux valeurs démocratiques et de droits de l’homme, aux questions humanitaires et environnementales, bref aux idéaux progressistes. Cependant, il y a, ce qu’on appelle le realpolitik en vertu duquel les intérêts américains pourraient primer sur d’autres considérations. Pour le cas d’espèce du Tchad, la stabilité du pays serait plus profitable pour les Américains dans le cadre stratégique de la lutte contre l’insécurité dans la région mais d’endiguer l’influence de la Russie et de la Chine.

TM: Et si c’était les Républicains au pouvoir, les priorités vont demeurer les mêmes ?

MAM: Ça dépend. La lutte contre le terrorisme, l’endiguement de l’influence de la Russie et de la Chine vont demeurer plus ou moins les mêmes s’il s’agit des Républicains de l’establishment,comme Bush, Dick Cheney, Condi Rice, Mich McConnell, Mitt Romey, etc. Par contre, les Républicains plus à droite comme Trump, Paul Gosar, Mo Brooks, etc, ont des priorités centrées sur des politiques protectionnistes. Ils ont tendance à accorder moins d’attention à des problématiques qui se présentent dans des régions loin des États-Unis.

TM: pourquoi cette différence de vision du monde au sein du même parti republicain?

MAM: Tout comme les Démocrates de l’establishment, les Républicains de l’establishment sont en général en collision avec Wall Street, c’est à dire les milieux de finances et des firmes internationales, alors que l’extrême droite et les Démocrates de l’extrême gauche à l’image de Sanders et Elizabeth Warren sont contre le monde de Wall Street. Cela veut donc dire que la politique de l’establishment est fortement influencée, à cause de cette collision, par les intérêts de ces firmes.

TM: l’arrivée de Biden est une bonne ou mauvaise nouvelle pour les intérêts français en Afrique ?

MAM: C’est une très bonne nouvelle. L’administration Trump s’était inscrite dans une logique de réduction de la présence militaire américaine à l’étranger notamment en Afrique alors qu’Obama avait substantiellement renforcé l’antenne d’Africom et l’aide logistique apportée à Barkhan. L’arrivée de Biden signifie le regain d’intérêt pour l’Afrique car pour les firmes internationales le salut est dans le multilatéralisme, la glibalisation et l’interdépendance.

TM: Selon vous, l’Administration Biden serait plutôt favorable à la stabilité politique au Tchad à cause de la question d’insécurité dans la sous-région ?

MAM: Tout à fait. Et tout ce qui concourt à la stabilité comme le renforcement de la démocratie et le respect des droits de l’homme, etc.

TM: Comment expliquez-vous dans ce cas, les chaos créés par les États-Unis en Libye, Iraq et Syrie ?

MAM: De toute évidence, les intérêts des firmes internationales étaient incompatibles avec le maintien des anciens régimes de l’Iraq, la Libye et celui actuel de la Syrie.

TM: Pensez-vous que si l’administration Trump était à la place de celle de Bush et d’Obama, Sadam et Gadafi seraient encore vivants ?

MAM: en tout cas, leurs régimes auraient plus de chance de survivre, puisque la logique de Trump est bien différente de celle des firmes internationales.

TM: merci pour cet éclairage.

MAM: Je vous en prie.

Interview réalisée par Mustapha Hamid Markass
tchadmedias@gmail.com
Tel: 68 57 7434/ 9612 1444