Lors d’une interview exclusive sur Tchadmedia, Mahamat Nour Abakar a récemment déclaré qu’il est le premier cinéaste tchadien pour avoir été, selon lui, le premier à avoir réalisé au Tchad un film cinématographique. Certains internautes ont, par contre, estimé que l’honneur de premier cinéaste incombe plutôt à un autre Tchadien, Édouard Sailly.
Tchadmedia est retourné cet après-midi chez le cinéaste pour lui donner l’opportunité de prouver sa déclaration de premier cinéaste. Dans l’interview que vous allez lire ci-dessous, Mahamat Nour Abakar revient non seulement avec détails sur les années 80 où il a réalisé son premier film « DALGUEGAR« , mais il a également fourni des autorisations de filmer octroyées par les autorités publiques de l’époque, documents que nous publions pour nos lecteurs…
#Tchadmedia : Monsieur Mahamat Nour, votre dernière déclaration a suscité des réactions sur la toile. Qu’avez-vous à dire à cet égard ?
Mahamat Nour Abakar : A l’occasion du 29e Edition du FESPACO qui se déroule au Burkina Faso, j’ai souhaité, en ma qualité de Premier Cinéaste tchadien, réalisateur de film pour le cinéma, exprimer ma satisfaction et mes encouragements pour le simple fait que son Excellence Maréchal Mahamat Idriss Déby Itno soit l’invité d’honneur.
A ma grande surprise, cela a donné lieu à un débat plus ou moins passionné et tendancieux sur les réseaux sociaux. Les pères, Edouard Sailly, Idriss Aman, Khalil Dabzak (paix à leurs âmes) et Mahamat Nour Ali étaient parmi les premiers à me soutenir et m’encourager à réussir mes projets de films et cinéma.
Et par la suite, j’avais également reçu les encouragements et félicitations de l’ex Président Hissein Habré, les ex-Ministres Adoum Moussa SEIF, Ibrahim Mahamat Itno, (paix à leurs âmes), sans oublier les Ministres Mahamat Nour Mallaye et Moustapha Ali Alifei. Que tous retrouvent ici mes reconnaissances et gratitudes.
J’ai été également félicité et distingué par l’Unesco au Tchad, par l’Organisation des Nations Unies au Tchad, …etc. (voir documents ).
#Tchadmedia : Parmi les gens qui ont réagi, d’aucuns pensent que Edouard Sailly était le premier le premier cinéaste tchadien
Mahamat Nour Abakar : ces intervenants seraient aveuglés par la passion du débat, n’avaient probablement pas pris le temps de faire un calcul de vérification des dates. Par exemple, l’on sait que Edouard. Sailly était né à Arada en 1941. En 1954, il avait 13 ans. Et en 1966 il avait 25 ; à son actif, plusieurs petits métiers qui n’avaient rien à voir avec le domaine en question. On sait aussi qu’à cette époque le support magnétique des années 80 n’existait pas. Pour faire une simple image photos blanc-noire, il fallait disposer d’un rarissime appareil photo des années 60, à pellicule 35mm, rudimentaire à développer « Laver » plus tard. Dans les années 60, pour réaliser un simple film blanc-noire en mouvement, il faudrait d’abord ici au Tchad, disposer par magie, d’une caméra à pellicule double bobine. Rappelons que la longueur moyenne d’une bobine de 90 minutes est de 2,5 km de pellicules. Pour monter un film de 90 minutes, il faudrait déjà avoir utilisé et épuisé plusieurs kilomètres de pellicules (rushes). A l’époque, si ma mémoire est bonne, un seul kilomètre de film à pellicule coûtait plus de Trente (30) millions FCFA de l’époque. En plus, il faut disposer d’une caméra à pellicule, d’un laboratoire de développement de kilomètres de film à pellicule et d’une table de montage approprié.
Voilà les raisons pour lesquelles le père Edouard Sailly (paix à son âme) n’avait jamais réalisé un film en mouvement sur pellicule. Alors qu’il rêvait d’en réaliser un, m’avait-il confié un jour. Et c’est aussi la raison pour laquelle il avait trouvé rentable de consacrer toute sa carrière aux images photos, qu’il projetait sur Diapositives (DIAPO) de 5 ; 6 ou 7 minutes. Mais ce n’est pas du court-métrage de film en mouvement dans le bon sens du terme.
Je suis d’avis si l’on parlait du premier photographe présidentiel ou du premier réalisateur des images photos projetées sur diapositives, appelée communément DIAPO. Je lui concèderai d’Office le titre du premier photographe présentant sous forme de court-métrages de 5 ; 6 ou 7 minutes noir et blanc des images fixes dans les années 70.
Mais ici, il s’agit de cinéma et de cinéaste et non des projections diapositives d’images photos en cascades dans lesquelles, je rappelle, il n’y avait ni mouvement, ni scénario, ni acteurs, ni son ou musique… ni montage. Les cinéastes tchadiens me comprendront !
#TM : Donc, selon vous, Edouard Sailly n’est pas un cinéaste.
MNA : Pour être appelé cinéaste, il faut quand même avoir réalisé au moins un film pour le cinéma ou la télévision. La réalisation de film pour le cinéma nécessite de remplir beaucoup des critères, entre autres : avoir étudié les codes cinématographiques et extra-cinématographiques ; et surtout les codes cinématographiques spécifiques. Ensuite, disposer d’un synopsis, d’un scénario élaboré, des séquences à mettre en ordre, apprêter le dialogue (parolier), planning de mise en scène, castings et acteurs, costumes et répétitions, cameramen, éclairage, décors, perche, trépied, réalisateur, assistants, budget, montage, son ou musique…etc.
#TM : Pour réaliser un film, il faut que les autorités du pays le sachent. Il faut une autorisation du gouvernement. Avez-vous une quelconque autorisation pour faire le cinéma ?
MNA : Oui, j’en ai. Au Tchad dans les années 80, il faut disposer d’une autorisation de réalisation de film pour être reconnu comme cinéaste avant de procéder le travail et même circuler en ville ou dans les campagnes dans le cadre de la réalisation du film (voir documents). Il faut donc déposer son manuscrit de scenario dans son intégralité, plusieurs mois à l’avance auprès des autorités compétentes de l’époque pour demander et obtenir l’autorisation préalable du gouvernement du Tchad pour la réalisation de film pour le cinéma ou la télévision. Le manuscrit du scenario intégral fera alors le tour de toutes les institutions de la république ; de la mairie aux renseignements généraux, de la DDS aux directions et ministères concernés ; et enfin revenir à la case de départ pour l’établissement de l’autorisation. Pour être un réalisateur de cinéma et télévision, il faut avoir à la fois des nerfs solides, une bonne culture générale et des compétences techniques confirmées.
Fort de cette définition du cinéaste de l’époque et même d’aujourd’hui, je dirai humblement et respectueusement, que je suis, et cela malgré moi, le seul à avoir rempli à l’époque tous les critères, me permettant l’appellation aujourd’hui du Premier cinéaste tchadien, réalisateur de film pour le cinéma. Et j’invite donc, les uns et les autres, dans un esprit de fraternité, de calme et d’amitié, de produire au public tchadien une telle autorisation datée des années 80 ou simplement antérieures aux miennes. Je cèderai alors bien volontiers le titre de Premier Cinéaste tchadien à qui de droit. Je n’ai rien à y gagner ; c’est juste un rappel historique dans un esprit de patriotisme et de citoyenneté tchadienne. Car, j’estimais que la jeunesse d’aujourd’hui ayant tellement la tête dans le Cloud, ne connait pas et peut-être ne veut même pas savoir, Qui est Qui, Qui a fait Quoi, Quand, Comment, Où et pourquoi !
#TM : Avez-vous réalisé combien de films ?
MNA : J’ai réussi, Dieu merci, à réaliser trois films intitulés: «Comme tu es Naif ou DalGuegar », « la Vie des Tchadiens au Canada » et un court-métrage «Tchad, Pays Beni ». Les extraits de ces films ont été diffusés à la Télé-Tchad, au Centre culturel français (actuel Institut français), aux palais du 15 janvier, aux Affaires étrangère (BPN), dans certains Ciné-club des quartiers, etc.
#TM : Réaliser un film n’est pas une chose facile même aujourd’hui. Comment, vous vous êtes pris pour faire vos films ?
MNA : N’ayant pas les moyens de réaliser un film à enregistrer et projeter sur pellicule à Bobine ; il m’a fallu attendre l’avènement de la bande magnétique sur support analogique de l’industrie audiovisuelle pour me mettre au travail de la réalisation de film pour le Cinéma. Permettez-moi une anecdote :
Quand j’avais des difficultés pour réunir des fonds à un certain moment pour le financement de certaines séquences de mon film, j’ai eu la mauvaise idée d’adresser une correspondance à tous les ministres du gouvernement d’Hissein Habré pour leur demander de m’aider financièrement un tout peu. A ma grande surprise, aucun ministre n’a daigné me répondre. Sauf un. C’était le temps de Demi-Salaire. Le seul qui avait réagi était le Ministre Routouang Yoma Golom, et il m’a répondu à même la lettre de ma correspondance, c’est-dire, il avait écrit sa réponse sur ma correspondance et avec un stylo rouge « J’ai pas d’argent » ! J’ai jusqu’au jour d’aujourd’hui gardé ladite correspondance dans mes archives. Sans rancune, c’est juste un document patrimoine culturel et historique.
#TM : Pour faire du cinéma, vous avez dit, il faut avoir des nerfs solides mais aussi beaucoup d’argent. Quels messages avez-vous à l’endroit des cinéastes tchadiens d’aujourd’hui ?
MNA :Je tiens d’abord à leur adresser toutes mes félicitations pour leurs courages et déterminations à vouloir encore tenir fort et continuer le combat pour la promotion du secteur du cinéma et de la culture en général, et ce, malgré les découragements, humiliations, pauvreté et autres montagnes à soulever. Alors que moi, en déposant la caméra, j’avais déclaré forfait depuis longtemps. Mais, je les observais et les suivais de loin ; et leur souhaite beaucoup de succès.
#TM : Forfait ? Pourquoi vous aviez abandonné le métier du cinéma ?
MNA : Jusque-là au Tchad, ce métier n’est pas rentable. C’est un métier appauvrissant, envoûtant, clochardisant, voire mortel pour les adeptes inconscients. Quand un métier ne nourrit pas sa personne, il faut le fuir ! A quoi sert de mourir pauvre pour le plaisir d’être appelé « Acteur, Actrice, ou Cinéaste » ?
#TM : Un mot à l’endroit des autorités tchadiennes ?
MNA : Je lance un appel pressant à l’endroit de son excellence Maréchal Mahamat Idriss Deby Itno, pour l’exhorter à investir dans le développement de la culture tchadienne déjà belle et diversifiée. Aussi dans la promotion du tourisme. Ces deux secteurs là sont en vérité de secteurs stratégiques, en mesure de sortir le pays de la pauvreté et la jeunesse du chômage. Seulement en y investissant avec conviction.
Entretien réalisé par la rédaction de Tchadmedia
