Après 12 jours de combat aux missiles, l’Iran et l’Israël ont accepté d’observer un cessez-le-feu. Chaque camp crie victoire. Pourquoi l’Etat hébreu a agressé l’Iran le 13 juin dernier. Empêcher l’Iran de s’acquiérir des armes nucléaires a-t-il un lien avec le problème palestinien ?
L’enseignant en relations internationales Moustapha Abakar Malloumi nous en fait le décryptage.
MOUSTAPHA ABAKAR MALLOUMI :
L’attaque israélienne dénommée ” Operation Lion dressée” du 13 juin dernier contre l’Iran semble s’inscrire dans une stratégie américano-israélienne voire saoudienne de parvenir à l’affaiblir pour un éventuel plan de paix entre les Palestiniens et l’Etat d’Israël.
TCHADMEDIA: Quelle est donc cette stratégie ?
MAM: C’est une stratégie qui consiste à graduellement annihiler les capacités de nuisance de l’Iran à commencer par ses aliés comme la Syrie mais aussi et surtout ses aliés non étatiques appelés des “proxys” comme le Hezbollah du Liban, les Houthis de Yémen, les Palestiniens Hamas et Jihad islamique ainsi que les milices chites irakiens.
On peut donc lire l’attaque du 13 juin comme une suite logique du processus ayant mené à l’affaiblissement des proxys et le changement du régime en Syrie.
Du coup, l’Iran s’est retrouvé seul, sans force d’influence, face à des adversaires déterminés à réduire substantiellement sa capacité de nuisance.
TM: En marge du sommet de l’OTAN, aujourd’hui 25 juin, le président Trump a déclaré lors d’une conférence de presse que les installations nucléaires iraniennes sont complètement annéanties et que la guerre est terminée. Est-ce le cas?
MAM: Je ne le pense pas. Même si la capacité de production de la bombe semble être drastiquement réduite, il pourrait toujours rester des possibilités de trouver les moyens d’enrichir l’uranium à un seuil d’usage non civil. D’ailleurs des renseignements américains cités par CNN et New York Times tampèrent l’ampleur des dégâts. Aussi même si les proxys actuels et connus sont plus ou moins neutralisés, il y aurait toujours des menaces terroristes en Israël ou ailleurs en occident. Donc on ne peut facilement décréter la fin de la guerre. Après la chute du mur de Berlin en 1989, des internationalistes comme Francis Fukuyama s’étaient précipités pour annoncer le triomphe de l’idéologie occidentale sur celle du reste du monde. A peine quelques années plus tard, l’histoire donnera raison aux sceptiques comme Samuel Huntington pour qui l’Occident n’est pas encore victorieux. Il fera face à la résistance d’autres civilisations qui rejeteraient ses valeurs. Et justement Al Qaïda va frapper au cœur du capitalisme en détruisant les tours jumelles de World trade center.
TM: Alors quel est le but d’affaiblir l’Iran et ses proxys?
MAM: La question de l’insécurité a toujours été un prétexte pour Israël de s’afficher réticent à toute forme de solution de paix à deux Etats. Il faut donc rassurer le peuple israélien de la mise hors d’état de nuire l’Iran qui prônait la suppression de l’Etat hébreu de la carte du monde. Puis inviter les deux parties (palestinienne et israélienne) à s’assoir pour discuter des plans de paix à deux États.
TM: Des plans de paix? Il y en a beaucoup ?
MAM: Tout à fait. Il y a entre autres les plans de paix de l’ONU, des États-Unis, de l’Arabie Saoudite, deTrump ( différent du premier plan des États-Unis). Cependant, tous ces plans sont alignés sur la nécessité d’une solution à deux Etats mais ils divergent sur des points somme toute cruciaux tels que les colonies israéliennes en Jordanie, le statut de Jérusalem et le sort des réfugiés palestiniens.
TM: Si on vous suit bien, les attaques américaine et israélienne contre l’Iran ont-elles un lien avec la question palestinienne.
MAM: Tout à fait. Pour les Américains, les Israéliens et les Saoudiens, il faut réduire les menaces sur la sécurité dans la région afin de régler le problème palestinien.
TM: Mais pensez-vous que Hamas et le Jihad islamique vont accepter de discuter avec le régime israélien ?
MAM: C’est une question à millions de CFA. De par sa charte de 1988, le Hamas se définit comme une force de résistance à l’occupation israélienne. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que le groupe connaîtra de difficultés à accéder à des soutiens importants du fait du contexte nouveau dans lequel se trouve l’Iran. De ce point de vue, je suis plus enclin à croire à une marge de manœuvre trop étroite pour Hamas de continuer à résister dans la bande de Gaza.
TM: Donc il faut libérer la bande de Gaza du Hamas?
MAM: La pacification de la bande de Gaza et éventuellement de la Cisjordanie des armées de résistance semble constituer, à mon humble avis, l’objectif poursuivi par le régime israélien au-delà de la libération des otage.
TM: Le premier ministre israélien donne l’impression d’un va-t-en guerre. Pensez-vous qu’il est favorable à une solution de paix à deux Etats?
MAM: Benjamin Netanyahu s’était toujours exprimé contre la solution de paix à deux Etats. Il est un populiste et il cultive la peur de la population pour se maintenir au pouvoir. Les rhétoriques guerrières sont ses fonds de commerce pour se faire réélire. La majorité des juifs ne partagent pas sa méthode répressive. Par exemple, les Juifs américains à l’instar des sénateurs comme Bernie Sanders et Chuck Schumer sont publiquement contre la politique du gouvernement israélien. Même si le gouvernement israélien n’est pas favorable à une solution à deux Etats, les Etats-Unis le sont, ce qui laisse entrevoir que les Juifs américains le sont également.
TM: Merci de votre disponibilité pour cet éclairage.
MAM: Avec plaisir
