Par Cherif Adoudou Artine
La Journée de l’Afrique. Que signifie vraiment cette commémoration en 2025 ? Contraste entre idéaux d’hier et réalités d’aujourd’hui.
Dimanche 25 mai. J’ouvre mon application twitter et je vois que les gens célèbrent la journée de l’Afrique. On peut lire de beaux messages sur les pères fondateurs, leurs combats, leurs sacrifices pour libérer « le peuple noir » du colonialisme, de l’apartheid… et prôner l’unité d’un continent. Il y avait aussi des messages sur l’héritage culturel que portent les Africains, de partout en Afrique, de France et d’ailleurs dans le monde.
Qui a décidé que cette journée du 25 mai était celle de l’Afrique ? Et que célébrons-nous au juste ?
La première question est le résultat de mon inculture, même si en deux ou trois cliques j’ai su qu’il s’agissait du 25 mai 1963, date de la création de l’Organisation de l’unité africaine, je ne sais toujours pas précisément qui a décidé que le 25 mai serait l’ « Africa Day », cette journée telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Une contradiction
Les Julius Nyerere, Kwame Nkrumah et autres Haile Selassie célébraient en cette date la naissance de leur OUA, symbole à l’époque de l’unité des peuples africains et de la lutte contre le colonialisme, l’impérialisme, le racisme et tous ces « ismes » qui tenaient l’Afrique sous joug.
Si je ne sais pas qui a décidé de cette date, c’est peut-être parce que la question du sens de cette célébration me préoccupe davantage. Mon 2ème questionnement est central. Capital !
Parler des pères fondateurs, célébrer ses racines, sa culture… bien. Mais que reste-il de leurs combats, leurs sacrifices valaient-il d’être consentis, qu’avons-nous fait de leurs rêves pour le continent africain ? A quoi servent tous ces oripeaux identitaires, culturels lorsque l’Afrique se traine, que ses habitants vivent dans l’indigence et quand des femmes, des enfants, des hommes risquent leur vie dans des embarcations de fortune pour rejoindre un Eldorado loin de l’Afrique ?
Que célèbre-t-on plus de 60 ans après que « les pères fondateurs » ont obtenu l’indépendance de leurs pays respectifs, qui aujourd’hui dépendent encore beaucoup des anciens colons ?
La réalité du continent africain contraste tant avec les aspirations des luttes initiales contre le colonialisme.
J’espère que celles et ceux qui célèbreront le 25 mai ne se limiteront pas à raconter béatement l’histoire ou à se gargariser des luttes des anciens ; mais qu’ils se poseront plutôt les questions qui gênent dans cette Afrique de 2025 et qu’ils intègreront dans leurs commémorations des réflexions profondes sur ce que doit être cette journée et ce qu’elle peut apporter aux jeunes générations.
Paix, institutions, objectifs communs
Les questions liées à la bonne gouvernance devront être prioritaires. Car sans un pouvoir politique conscient de son rôle primordial dans le dessein d’un pays, rien ne changera sous le ciel d’Afrique.
On ressasse à longueur de journée, à longueur d’articles de presse et sur tous les podiums de conférences à qui veut l’entendre que l’Afrique est intrinsèquement le continent le plus riche grâce à son sous-sol, grâce à sa flore mais aussi à travers son dividende démographique. Mais malheureusement jusqu’à présent ce continent n’est pas en mesure d’exploiter ses atouts pour se développer et améliorer la vie de la majorité des 1,54 milliard de personnes qui y vivent. Pour y arriver, les 54 pays africains doivent être capable de s’entendre sur au moins 3 aspects :
Instaurer la paix
L’instauration de la paix ne se décrète pas. Elle se crée par le biais d’un destin commun que les États décident de rendre tangible en se fondant dans des intérêts communs (j’évoquerai un exemple plus loin).
Bâtir des institutions fortes
Quelle que soit la forme de l’État, des institutions fortes sont la garantie de la stabilité, de la bonne gouvernance et la voie au développement économique. La force d’un système pluraliste réside dans la force de ses institutions. Jerry Rawlings disait à juste titre : « Je suis déterminé à créer des institutions si fortes que même le diable lui-même ne pourrait les détruire ».
Les institutions fortes sauront sanctionner les dirigeants médiocres.
Atteindre des critères de convergence économiques
Le fait d’avoir des critères tangibles permet aux pays unis dans un même objectif d’apporter leur aide aux pays qui rencontreraient des difficultés à atteindre les critères de convergence économiques communs.
En évoquant ces 3 points, je repense à Robert Schuman et Jean Monnet, les Architectes de la construction européenne. Au lendemain de la 2nde guerre mondiale, Schuman le politique et Monnet le technocrate ont su allier leurs forces pour mettre sur les fonts baptismaux l’ancêtre de l’actuelle Union européenne. Les institutions fortes de la France et de ses voisins européens ont permis à ce projet né en 1950 de voir le jour en 1957 avec le traité de Rome qui a créé la Communauté européenne du charbon et de l’acier (cet intérêt commun aux six pays signataires qu’étaient la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Italie.).
« La mise en commun des productions de charbon et d’acier assurera immédiatement l’établissement de bases communes de développement économique, première étape de la fédération européenne, et changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre. » disait en substance Robert Schuman lors de l’annonce de l’ouverture des négociations de la CECA dans le salon de l’horloge du ministère français des Affaires étrangères. en 1950.
Célébrons donc la journée de l’Afrique, Célébrons les pères fondateurs. Célébrons nos richesses culturelles. Non pas comme des contemplateurs ahuris. Mais plutôt en héritiers dignes de ce riche héritage. En acteurs résolus et agissants.
Chérif Adoudou, blogueur politique