S’il y a une évidence sur laquelle beaucoup de nos compatriotes semblent être d’accord, c’est le fait que même avant la naissance du Tchad, nos ancêtres ont vécu sur cette terre patrie. Des communautés culturelles et ethniques ont précédé l’arrivée des blancs qui ont bien plus tard choisi un nom à notre contrée chargée d’histoires, d’énergies et d’émotions. Depuis, les habitants de ce lieu plein de charmes à découvrir s’appellent des Tchadiens.
C’est une évidence que seul un non natif de ce pays pourrait se permettre l’excuse de l’ignorer. Aux dires des historiens, le paganisme était pratiqué par les ancêtres qui vivaient dans cette partie du monde qu’est aujourd’hui le Tchad, puisque ses principales religions actuelles, toutes deux monothéistes (Islam et Christianisme), n’y firent leur apparition que bien plus tard. Ces deux religions monothéistes ont façonné le mode de vie voire la vision du monde des populations acquises à leurs dogmes respectifs. Au fil des temps ces habitants qui appartiennent à ce qu’il convient d’appeler maintenant le Tchad commencent à se faire une identité selon la religion à laquelle ils s’identifient. De fil en aiguille, deux principales communautés verront le jour à l’image de ces deux religions qui dominent le pays. Alors que les musulmans se trouvent majoritairement présents dans la partie nord du pays, les chrétiens sont nombreux dans le sud du Tchad. Les Tchadiens sont donc principalement de religion musulmane ou chrétienne même s’il faut admettre la possibilité de la présence d’une minorité d’athées, de non pratiquants ou d’adeptes d’autres religions ou sectes.
De ce qui précède, nous pouvons sans risque de nous tromper déduire que nos ancêtres avaient commencé par habiter dans cet endroit qui devient le Tchad bien avant l’arrivée des religions précitées. Cette contrée nous a été léguée par nos ancêtres et nous devons la chérir à juste titre. Ce qui revient à dire que nous avons tous en commun cet héritage qu’est le Tchad même si individuellement chacun de nous croit à une religion particulière qui n’est pas forcément commune à nous tous. Chaque croyant doit jouir, en privé, de la liberté de se connecter spirituellement avec Dieu tout comme en public il a droit de s’approprier de tous les bénéfices découlant du bien collectif qui est tout ce qui appartient à l’Etat. Collectivement nous devons jalousement chérir notre bien commun même si individuellement chacun de nous a le loisir de pratiquer la religion de son choix. La religion n’est point notre bien commun et comme telle ne doit pas s’inviter dans la sphère de discussion ayant trait à notre bien commun qu’est le Tchad. La religion relève ainsi du domaine privé du Tchadien, son domaine public étant intimement lié à l’héritage collectif. Notre patrie le Tchad étant ce bien commun, sa vie économique, politique, sociale et culturelle est ainsi l’affaire de nous tous. Comme la religion n’est pas l’affaire de tout le monde, elle est ainsi une affaire privée et donc vouée au placard. Elle ne doit pas avoir la prétention de sortir du placard pour prendre place dans la sphère publique. Cependant, il serait probable que des actes publics ou des décisions étatiques prises pourraient avoir des impacts sur la vie religieuse d’un individu ou d’une communauté. Dans ce cas de figure, l’Etat doit prévoir des alternatives qui assureraient à chaque croyant de vivre pleinement sa religion sans porter préjudice aux droits et libertés des autres citoyens.
Autrement dit, l’Etat n’a pas pour vocation de dicter comment un individu pratique sa religion. Par contre il se doit d’assurer que la pratique religieuse n’enfreigne pas les droits des autres citoyens. Par exemple, alors qu’il serait légitime qu’une personne ou qu’un groupe de personnes puisse organiser des activités rituelles dans un endroit dédié pour la circonstance, il est aussi normal que l’Etat veuille à ce que ces opérations rituelles ne troublent point l’ordre public. Si une pratique religieuse, censée se dérouler dans un cadre circonscrit, déborde pour se trouver dans la rue au point d’empêcher les autres citoyens de circuler convenablement, il y a un problème : le privé a empiété sur le domaine public. Ce genre de situation doit nous interpeller et appeler chacun de nous à faire prévaloir le respect de la chose commune au détriment de l’intérêt particulier. Dans ce cas d’espèce, l’intérêt particulier est la pratique religieuse de l’individu. Son intimité avec Dieu doit être du domaine privé et par conséquent ne devrait pas perturber la sphère publique.
A l’instar de la religion, nos pratiques culturelles respectives ne devraient pas avoir une préséance sur le respect de la chose publique. Par exemple, ériger un hangar ou une tente au milieu de la rue pour organiser une cérémonie nuptiale ou funèbre ne saurait être acceptable pour un esprit épris du respect de l’autre. L’autre étant ce citoyen qui souhaite emprunter cette même rue « publique » pour son passage.
Un vrai croyant est celui qui voue un respect indéfectible à son prochain
Aussi organiser une animation musicale, fut-elle pour une célébration de mariage, dans un endroit ouvert au point de perturber la quiétude du voisin n’est pas de nature à contribuer au vivre-ensemble entre Tchadiens. Le bruit issu des décibels des sons musicaux pourrait être perçu par le voisin comme une pollution qui menace son pré-carré (sa demeure privée) où règnent le calme et la quiétude. Cette doléance est aussi valable pour les détenteurs des lieux d’animation musicale à proximité des ménages et dont les espaces ne sont pas hermétiquement fermés. Que dire à l’usage des haut-parleurs utilisés pour des prêches et des incantations (poésies) religieuses organisées ou psalmodiées tard dans la nuit ou tôt le matin ? Le respect du voisinage nous impose à ne point perturber son prochain dans son droit à la quiétude ou au sommeil. Je suis de ceux qui croient que Dieu entend nos louanges et implorations même dans nos murmures. Par ailleurs le Tout-Puissant, Seigneurs des cieux et de la Terre nous recommande à travers toutes les religions monothéistes le respect de l’autrui. Dès lors que le respect du prochain fait partie des instructions divines, celui-ci devient illico presto un instrument de mesure de la foi d’un croyant qu’il soit musulman, chrétien ou juif. En d’autres termes, un vrai croyant est celui qui voue un respect indéfectible et indéniable à son prochain. Ce respect nous appelle à être observant de nos faits et gestes de manière à ne pas porter atteinte à la liberté et aux droits de l’autre sans raison légitime et collectivement acceptée. L’indisposer dans son sommeil ou lui mettre des embûches en travers son chemin, comme nous l’avions évoqué ci-haut, sont entre autres des manifestations illustratives parmi tant d’autres du non-respect de son prochain. L’amour du prochain prôné par les religions pourrait dans une certaine mesure se traduire par la reconnaissance du droit de l’autre à jouir aussi d’un bien commun. Une artère publique est un bien commun comme tout autre. Son usage fait partie des droits de chaque citoyen pourvu que celui-ci reconnaisse aussi et respecte le droit de l’autre d’en faire usage. De la même manière que le citoyen a le droit de jouir du bienfait qu’offrent ces artères publiques, il a aussi le devoir de les protéger dans la mesure de ses capacités. Par exemple, il peut recoller une partie dégradée d’une route s’il a les moyens tout comme il peut ramasser et déposer dans un endroit approprié une immondice maladroitement placée obstruant ainsi le passage au public. Nos devoirs à la protection de nos biens communs sont censés faire partie de nos valeurs intrinsèques. S’abstenir par exemple de jeter une canette de boisson, un tesson de bouteille ou une peau de banane sur les artères est non seulement un acte de civisme mais reflète aussi nos valeurs intrinsèques. La chose publique étant donc notre bien commun, nous sommes, à ce titre, tous concernés par sa protection, sa maintenance, sa rénovation, sa croissance et son amélioration. En faisant ce geste, chacun, dans son coin, est en réalité en train de manifester et confirmer sa copropriété sur le bien en question.
Moustapha Abakar Malloumi
Ecrivain