POLITIQUE…Masra chez le Maréchal du Tchad, à qui profite cette rencontre?

Le 16 mars dernier, le leader des Transformateurs et ses deux lieutenants ont rencontré le Chef de l’État sur une requête d’audience qu’ils ont introduite il y a plus d’une année. Cette audience a suscité beaucoup de réactions de la part des Tchadiens qui suivent les actualités du pays. Nous nous sommes rapprochés de notre analyste des actualités Moustapha Abakar Malloumi pour nous décrypter cette rencontre inédite entre le Président de la République et celui des Transformateurs.

TCHADMEDIA : Vous êtes enseignant chercheur à l’université de Ndjamena. Comme la plupart d’entre nous, vous avez aussi suivi les débats autour de cette rencontre entre le Président Déby et Masra. Quelle lecture en faites-vous?

MOUSTAPHA ABAKAR MALLOUMI : c’est un événement politique très important aussi bien pour le président de la République que pour le leader des Transformateurs.

TM: Pensez-vous que, de ce tête-à-tête tous les deux en sont sortis gagnants?

MAM : Tout à fait. Pour le Chef de l’Etat, c’est une grande victoire à court terme alors que le leader des Transformateurs a misé sur une splendide victoire à long terme.

TM: C’est à dire?

MAM: De cette audience, le Président Déby a marqué d’une pierre deux coups. Le premier, une réponse à la communauté internationale. Vous savez qu’à la faveur de l’affaire Yaya Dillo, le gouvernement français a promis à son assemblée nationale d’exhorter le Chef de l’Etat tchadien à dialoguer avec l’opposition. L’ONU a plaidé dans le même sens. Les ambassades des États-Unis et d’Allemagne ont soumis des documents de la part de leurs pays respectifs auprès des autorités tchadiennes. Ces documents appelés “démarches” dans le jargon anglo-saxon visent à encourager le gouvernement du Tchad à s’ouvrir à l’opposition. De ce point de vue le timing de cette rencontre avec Masra sonne à point nommé pour le Président Déby car il permettrait de répondre à cette pression de la communauté internationale, la rassurer de la bonne disponibilité du gouvernement à s’ouvrir au dialogue.
Le second coup, le président semble couper l’herbe sous les pieds de l’aile radicale de la classe politique et de la société civile qui jurent de perturber le scrutin d’avril prochain. Ainsi, il pourrait les isoler et affaiblir leur ardeur avec le temps et surtout attiédir l’ardeur des partisans de Yaya Dillo qui espéreraient un soulèvement populaire pour provoquer un coup d’Etat.

TM: Qu’en gagnera Masra, alors?

MAM: La reconnaissance de son parti.

TM: Ses détracteurs disent qu’il est allé négocier le poste de vice-président. Partagez-vous cet avis?

MAM: Je ne crois pas. A mon avis, pour Masra, la reconnaissance de son parti est le meilleur des cadeaux qu’il puisse avoir.

TM: Comment ça?

MAM: Tout politicien ou toute politicienne qui rêve de devenir un grand acteur politique au Tchad ne pourrait accepter de voir le champ d’activité de son parti se réduire à son siège.
Le mouvement les Transformateurs était acculé et sur le point d’être asphyxié.
Maintenant si l’autorisation de fonctionner est accordée, le parti pourrait souffler, pourrait officiellement s’implanter sur l’ensemble du territoire national, mener ses activités et valablement se préparer pour les futures échéances. Cette tactique vise ainsi le long terme.

TM: Vous dites tout à l’heure que le mouvement les Transformateurs a failli d’être asphyxié. Pouvez-vous nous élaborer cela?

MAM: Justement et je soupçonne fort que le leader des Transformateurs a vu venir cette éventualité. Le parti est jugé illégal par les autorités tchadiennes, ce qui le contraint à se recroqueviller dans son QG. Les mêmes autorités qui auraient commencé par arracher les pancartes des Transformateurs et pourraient éventuellement user d’autres subterfuges pour mettre le mouvement sous pression, par exemple, couper l’électricité pour défaut de paiement, fermer le siège pour non paiement de taxes d’habitation, etc. Par ailleurs, le leader des Transformateurs doit aussi satisfaire aux doléances sociales des militants. Même s’il faut donner un 500 franc par doléance, Masra aurait à faire face à combien de personnes et pendant combien de temps? Le pire, il doit aussi ne pas perdre de vue que dans de telle situation difficile, il y aurait la possibilité de défection dans le mouvement voire au sein du cercle restreint. Donc je soupçonne que Masra aurait compris que l’avenir serait peu radieux pour les Transformateurs dans une logique d’intransigeance. Donc il faut vite changer le fisil d’épaule et c’est ce que semble faire Masra. C’est très intelligent de sa part.

TM: S’il campe dans son intransigeance, ne pensez-vous pas que la communauté internationale ne serait pas d’accord avec le scénario d’étouffement que, selon vous, semble préconiser le gouvernement ?

MAM: Pour avoir travaillé pendant six ans dans la section politique et économique de l’ambassade des États-Unis au Tchad et notamment avoir participé à beaucoup de discussions politiques, j’ai compris que la communauté internationale et surtout les occidentaux apprécient rarement deux choses: l’intransigeance ou le radicalisme et la politique de la chaise vide.
De ce point de vue, je peux parier que la même pression mise sur le Président Déby pour ouvrir le dialogue politique serait aussi sur les épaules de Masra et quelques autres leaders politiques pour assouplir leur position.

TM: Une dernière question. La base des Transformateurs reproche à Masra de n’avoir pas communiqué à temps l’audience avec le Président. Etes-vous d’accord avec cette reproche?

MAM: Non. A mon avis, les conditions ne permettent pas à Masra et son équipe d’informer l’opinion nationale avant l’équipede la communicationde la Présidence. Par exemple le service de protocole de la Présidence peut tout simplement dire aux Transformateurs que le Président a accepté de vous rencontrer dans une heure ou deux heures. Tant que l’audience n’ait pas lieu, Masra et son équipe trouveraient inopportune d’en informer le public. Une fois sur place, pour raison de sécurité, tous les appareils électroniques y compris des appareils photos et téléphones seraient confisqués à l’entrée. Au sortir de l’audience, Masra a dû répondre à des questions des journalistes, puis prendre la voiture pour joindre le siège des Transformateurs. Entre-temps l’équipe de la communication de la Présidence a tout le temps pour informer la population de l’audience qui vient de se dérouler.

TM: Merci beaucoup pour cet éclairage et nous allons certainement revenir vers vous sur d’autres sujets d’intérêt national.

MAM: Avec plaisir.

Interview réalisée par Nestor Yaldé
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